AGNI YOGA
Les Fondations du Bouddhisme
Extrait (version complète téléchargeable sur ce site)
"L'évolution
de l'ère nouvelle
repose sur la pierre angulaire de
la Connaissance et de la Beauté."
Nicolas ROERICH
La première édition des Fondations du Bouddhisme a été publiée sous le nom de Natalie Rokotoff, un pseudonyme parfois utilisé par Madame Elena Roerich.
Depuis sa disparition en 1955, les éditeurs, après avoir consulté son fils, Svétoslav Roërich, ont décidé d'utiliser le propre nom de Madame Roerich.
L'ouvrage que voici contient plusieurs ajouts qu'elle souhaitait inclure dans la deuxième édition.
Le grand Gautama a donné au monde un enseignement complet pour la parfaite construction de la vie. Toute tentative pour déifier ce grand révolutionnaire conduit à l'absurdité.
Bien sûr, d'autres êtres se sont succédés avant lui et ont œuvré pour le Bien Commun, mais leurs enseignements sont tombés dans l'oubli au cours des millénaires. On peut donc considérer que Gautama fut le premier à enseigner les lois de la matière et de l'évolution du monde.
La pensée collective contemporaine permet désormais d'établir un pont prodigieux qui relie Gautama, l'Illuminé, au temps présent. Nous ne formulons ceci ni pour le glorifier ni pour le diminuer, mais comme un fait évident et inaltérable.
La loi de l'intrépidité, la loi du renoncement à la propriété, la loi de la valeur du travail, la loi de la dignité de la personne humaine au-delà des castes et des distinctions extérieures, la loi de la vraie connaissance, la loi de l'amour fondé sur la connaissance de soi, font des révélations des instructeurs un continuel arc-en-ciel de joie pour l'humanité.
Etablissons les fondations du bouddhisme selon ses principes manifestes. Le simple Enseignement, dont la beauté égale celle du cosmos, dispersera toute idée d'idolâtrie, indigne du grand Instructeur des hommes.
La connaissance est le fil conducteur de tous les grands instructeurs. La connaissance permettra une libre et vitale approche du grand Enseignement, aussi vitalement réel que la grande Matière elle-même.
Laissant de côté les complexités ultérieures, nous nous concentrerons sur ces fondements indéniables.
Joie à tous les peuples !
Joie à tous ceux qui œuvrent !
Il est inutile, dans l'étude des fondations du bouddhisme, de s'arrêter sur les complications et ramifications ultérieures. Il est important de savoir que l'idée de purifier l'Enseignement est toujours vivante dans la conscience bouddhiste. Peu après la mort de l'Instructeur, des conciles célèbres eurent lieu à Rājagriha et, plus tard, à Vaiśālī et Patna, qui restituèrent à l'Enseignement son originale simplicité.
Les principales écoles du bouddhisme existantes sont le Mahāyāna (Tibet, Mongolie, les Kalmoucks, les Bouriates, Chine, Japon, Inde du Nord) et le Hīnayāna (Indochine, Birmanie, Siam, Ceylan et Inde). Ces écoles évoquent toutes deux les qualités de l'Instructeur lui-même.
Les qualités de l'Eveillé sont : Muni – le Sage, du clan des Śākya ; Śākya Simha – Śākya le Lion ; Bhagavat – le Béni ; Sādhu – l'Instructeur ; Jina – le Conquérant ; le Souverain de la Loi Bienveillante.
La venue du Roi sous l'image d'un puissant mendiant est d'une exceptionnelle beauté. "Allez, vous les mendiants, apportez le salut et la bienveillance aux peuples", dans ce commandement de l'Illuminé, tout est contenu dans le terme "mendiants."
En comprenant l'enseignement du Bouddha, vous réalisez d'où provient le sens de l'affirmation des bouddhistes – "Le Bouddha est un homme." Son enseignement de Vie est au-dessus de tout préjugé. Le temple n'existe pas pour lui ; mais il existe effectivement un lieu d'assemblée et un foyer de connaissance (en tibétain : du-khang et tsug-lag-khang).
L'Eveillé a contesté la conception conventionnelle de Dieu. L'Eveillé a nié l'existence d'une âme éternelle et immuable. L'Eveillé a donné un enseignement pour tous les jours. L'Eveillé s'est battu de toutes ses forces contre les possessions. L'Eveillé a combattu personnellement le fanatisme des castes et les privilèges de classe. L'Eveillé a affirmé la valeur de la connaissance fiable car acquise par l'expérience et la valeur du travail. L'Eveillé a recommandé d'étudier la vie de l'univers dans toute sa réalité. L'Eveillé a posé les fondations de la communauté, prévoyant la victoire de la Communauté Mondiale.
Des centaines de millions d'adeptes du Bouddha sont disséminés dans le monde entier, et chacun d'eux affirme : "Je prends refuge dans le Bouddha [1], je prends refuge dans l'Enseignement, je prends refuge dans le Sangha. [2]"
Les écrits traditionnels bouddhistes et les recherches contemporaines fournissent d'amples détails sur la vie du Bouddha Gautama. Certains chercheurs fixent la date de sa mort à l'année 483 avant Jésus-Christ. D'après les chroniques cingalaises, le Bouddha a vécu de l'an 621 à l'an 543 av. J.-C. Mais les chroniques chinoises ont fixé la naissance du Bouddha en 1024 av. J.-C. On estime que l'Instructeur est mort à l'âge de quatre-vingts ans environ. On connaît son lieu de naissance, Kapilavastu au Népal, ainsi que la lignée royale des Śākya à laquelle Gautama appartenait.
Les biographies du grand Instructeur ont certainement été enjolivées par ses contemporains et disciples (spécialement dans les écrits les plus tardifs) mais, afin de préserver la couleur et le caractère de l'époque, nous devons, dans une certaine mesure, nous référer aux écrits traditionnels.
D'après les traditions du sixième siècle av. J.-C., le royaume de Kapilavastu se situait au nord de l'Inde au pied de l'Himalaya, ces terres étaient peuplées de nombreuses tribus Śākyas, descendants de Ikshvāku de la race solaire des Kshatriya. Les habitants étaient gouvernés par l'ancien du clan qui résidait dans la cité de Kapilavastu, dont il ne reste à présent aucune trace ; elle fut détruite par un roi voisin ennemi déjà du temps du Bouddha. A cette époque, Śuddhodana, le dernier descendant direct d'Ikshvāku, régnait à Kapilavastu. Ce roi et la reine Māyā donnèrent naissance au futur grand Instructeur qui reçut le nom de Siddhārta, qui signifie "celui qui atteint son but."
Des visions et des prophéties précédèrent sa naissance, et l'événement lui-même, le jour de la pleine lune de Mai, fut accompagné de tous les signes propices dans le ciel et sur la terre. Ainsi le grand rishi Asita, qui demeurait dans l'Himalaya, et qui avait appris par les dévas qu'un bodhisattva, le futur Bouddha, était né dans le monde des hommes au parc Lumbinī et qu'il ferait tourner la Roue de la Doctrine, se mit immédiatement en route pour rendre hommage au futur Instructeur des hommes.
Lorsqu'il parvint au palais du roi Śuddhodana, il exprima le désir de voir le bodhisattva nouveau-né. Le roi ordonna d'apporter l'enfant au rishi, en s'attendant à sa bénédiction. Mais en voyant l'enfant, le rishi sourit puis se mit à pleurer. Le roi demanda avec anxiété la raison de ce chagrin et s'il voyait un triste présage pour son fils. A ceci, le rishi répondit qu'il ne voyait rien de néfaste pour l'enfant. Il se réjouissait car le bodhisattva parviendrait à l'illumination complète et deviendrait un grand bouddha ; mais il s'attristait parce que sa propre vie serait trop courte et qu'il ne vivrait pas assez pour entendre prêcher la grande doctrine.
La reine Māyā quitta cette vie après avoir donné le jour au grand bodhisattva et ce fut sa sœur Prajāpatī qui en prit soin et l'éleva. Prajāpatī est connue, dans l'histoire bouddhiste, comme la première femme disciple du Bouddha et la fondatrice et dirigeante d'une communauté féminine.
Le cinquième jour, cent huit brahmanes, ayant une profonde connaissance des Védas, furent invités par le roi Śuddhodana à son palais. Ils devaient donner un nom au prince nouveau-né et lire sa destinée grâce à la position des astres. Huit des plus savants dirent : "Celui qui a de tels signes deviendra soit un monarque universel, Tchakravartin, soit, s'il se retire du monde, un bouddha, et il écartera de la vision du monde le voile de l'ignorance.
Le huitième, le plus jeune, ajouta : "Le prince quittera le monde après avoir vu quatre signes : un vieillard, un malade, un cadavre et un anachorète."
Le roi, désirant garder son fils et héritier, prit toutes les précautions pour le retenir près de lui. Il entoura le prince de tout le luxe et de tous les plaisirs que lui permettait son pouvoir royal. Plusieurs faits nous indiquent que le prince Śiddhârta reçut une brillante éducation, puisque la connaissance en tant que telle était tenue en grande estime à cette époque, et, d'après une remarque d'Ashvaghosha dans le Bouddhacarita, la cité de Kapilavastu avait reçu son nom en l'honneur du grand Kapila, fondateur de la philosophie Sānkhya. On peut trouver des échos de cette philosophie dans l'Enseignement du Béni.
Pour donner plus de conviction, le Canon attribue cette description de la vie luxueuse à la cour de Suddhodana au Bouddha lui-même.
"On a pris soin de moi avec une suprême et infinie tendresse, ô moines. Au palais de mon père, on a construit pour moi des bassins de lotus, un bassin de lotus bleus, un autre de lotus blancs, un autre encore de lotus rouges qui fleurissaient en mon honneur. Et, ô moines, je n'utilisai que de l'huile de santal de Bénarès. De Bénarès provenaient les tissus de mes trois robes. Jour et nuit, un parasol blanc me protégeait de la chaleur, du froid, des poussières ou de la rosée. J'habitais trois palais, ô moines ; un d'hiver, un autre d'été et un troisième durant la saison des pluies. Lorsque j'étais dans le palais de la saison des pluies, entouré de musiciens, de chanteurs et de danseuses, je n'en sortais pas pendant quatre mois. Et, ô moines, alors que, dans le domaine des autres seigneurs, on ne donnait aux serviteurs et aux esclaves qu'une assiette de riz rouge ou de la soupe de riz, dans la maison de mon père, on leur servait du riz et de la viande." [3]
Mais cette vie luxueuse et heureuse ne pouvait combler le grand esprit. Et dans les plus anciennes traditions, nous voyons que l'éveil de la conscience aux souffrances, à la détresse et aux problèmes de l'existence eut lieu bien plus tôt que ce qui est relaté dans les écrits ultérieurs.
Ainsi, selon l'Anguttara-Nikāya, le bodhisattva s'exprimait en ces termes : "Entouré d'une telle richesse, élevé dans de telles délicatesses, la pensée me vint – 'En vérité, l'être non-éclairé, soumis au vieillissement sans pouvoir y échapper, se sent oppressé à la vue d'une personne âgée ; moi aussi je vieillis et ne puis l'éviter. Si moi, qui suis sujet à tout cela, devait voir quelqu'un d'âgé, d'oppressé, de tourmenté ou de malade, ce ne serait pas bien pour moi' [La même chose est répétée pour la maladie et la mort]. Ainsi, comme j'y réfléchissais, toute exaltation sur la jeunesse disparut complètement."
Dès sa prime enfance, le bodhisattva se montra d'une compassion exceptionnelle et d'une attention aiguë à l'égard de son entourage. D'après le Mahāvastu, le bodhisattva fut amené dans le parc par le roi et ses courtisans. Selon ce texte, il était assez grand pour se promener seul et il arriva à un village rural où il vit un serpent et une grenouille déchiquetés par une charrue. La grenouille fut emportée pour être mangée et le serpent fut jeté au loin. Ceci éveilla chez le bodhisattva une grande détresse. Il fut rempli d'un profond chagrin ; il éprouva une extrême compassion. Ensuite, désirant réfléchir dans une solitude complète, il alla vers un jambosier (sorte d'églantier) dans un endroit isolé ; là, assis par terre, caché par les feuilles, il se plongea dans ses pensées. En ne le voyant pas, son père s'inquiéta. Un des courtisans le trouva à l'ombre du jambosier, profondément absorbé dans ses pensées.
Une autre fois, il vit des laboureurs, les cheveux hirsutes, les pieds et mains nus, le corps sale et trempé de sueur ; il vit aussi des bœufs que l'on piquait avec des aiguillons de fer, haletants, leurs flancs et leurs croupes saignants, le cœur battant sous l'effort, alourdis par leurs jougs, harcelés par les mouches et les insectes, entaillés par le soc, du sang et du pus dégoulinant de leurs blessures. Son tendre cœur fut touché de compassion.
"A qui appartenez-vous ?" demanda-t-il aux laboureurs.
"Nous appartenons au roi" répondirent-ils.
"A partir d'aujourd'hui, vous n'êtes plus esclaves, vous ne devrez plus servir. Allez où il vous plaira et vivez dans la joie."
Il libéra aussi les bœufs et leur dit : "Allez ! A partir d'aujourd'hui, mangez l'herbe la plus tendre, buvez l'eau la plus pure et que les brises des quatre hémisphères vous rafraîchissent." Puis apercevant un jambosier qui lui offrait de l'ombre, il s'assit à son pied et se plongea dans une profonde méditation.
Devadatta, voyant une oie qui volait au-dessus de sa tête, la tira et elle tomba dans le jardin du bodhisattva, qui la prit, extirpa la flèche et banda la blessure. Devadatta envoya un messager réclamer l'oiseau, mais le bodhisattva refusa de s'en dessaisir et répondit qu'il n'appartenait pas à celui qui avait essayé de le tuer, mais à celui qui l'avait sauvé.
Le jour de son seizième anniversaire, conformément à la coutume de son pays, le prince eut à choisir une épouse, après avoir prouvé sa vaillance en sortant victorieux de l'épreuve Svayamvara. L'épouse choisie fut la princesse Yaśodharā du même clan Śākya. Elle devint la mère de Rāhula, qui plus tard allait devenir un disciple de son père et un arhat.
Mais le bonheur personnel, si grand fut-il, ne pouvait satisfaire l'ardente aspiration spirituelle du bodhisattva. Son cœur continuait à répondre à toute peine humaine, et sa pensée, voyant combien tout ce qui existe est transitoire, ne connaissait pas le repos. Il errait à travers les pièces de son palais comme un lion piqué par quelque dard empoisonné, et dans sa peine il gémissait : "Le monde est plein d'obscurité et d'ignorance ; personne ne sait comment soigner les maux de l'existence !"
C'est à cet état d'esprit que font symboliquement allusion les quatre rencontres prédites, après lesquelles il quitta son royaume et chercha à libérer le monde de ses souffrances. Dans une ancienne biographie en vers, lors de la troisième rencontre, il est dit que seuls le bodhisattva et son cocher virent le cadavre que l'on transportait de l'autre côté de la route. D'après ce Sūtra, le prince achevait alors sa vingt-neuvième année.
Un jour le prince dit à Chandaka, son cocher, qu'il désirait faire une promenade dans le parc. Là, il vit un vieil homme et le cocher lui expliqua ce qu'était la vieillesse et comment tout le monde y est assujetti. Profondément impressionné, le prince fit demi-tour et retourna au palais.
Peu de temps après, au cours d'une promenade, il rencontra un malade qui respirait avec peine, le corps convulsé et gémissant de douleur. Son cocher lui dit ce qu'était la maladie et comment tout le monde y est assujetti. Et de nouveau il s'en retourna. Tous les plaisirs lui semblèrent flétris et les joies de la vie écœurantes.
Une autre fois, il rencontra une procession : les uns portant des torches allumées, d'autres une litière où un drap enveloppait quelque chose. Les femmes qui l'accompagnaient étaient échevelées et pleuraient à faire pitié. C'était un cadavre et Chandaka lui dit que tout le monde devait finir ainsi. Et le prince s'exclama : "O hommes de ce monde ! Que votre illusion est fatale ! Inévitablement votre corps doit tomber en poussière, et cependant sans vous en préoccuper, vous continuez à vivre dans l'insouciance." Le cocher, voyant la profonde impression que cet événement avait produite chez le prince, tourna ses chevaux et retourna vers la ville.
Puis il arriva un autre incident qui sembla indiquer au prince la solution de sa quête. Lorsqu'ils passèrent près des palais de la noblesse, une princesse Śākya vit le prince du balcon de son palais et le salua avec une stance où le mot Nibutta (Nirvāna) revenait à chaque ligne.
"Heureux le père qui t'engendra,
Heureuse la mère qui t'a nourri,
Heureuse l'épouse qui appelle mari
Ce seigneur si glorieux,
Elle a dépassé toute peine."
Le prince, entendant le mot Nibutta, détacha de son cou un précieux collier de perles et l'envoya à la princesse pour la remercier de l'instruction qu'elle lui avait donnée. Il pensa :
"Heureux ceux qui ont trouvé la délivrance. Aspirant à la paix du mental, je dois chercher la béatitude du Nirvāna."
La même nuit, Yaśodharā rêva que le prince l'abandonnait. Elle se réveilla et lui raconta son rêve "O, mon Seigneur, où que tu ailles, laisse-moi aussi aller avec toi."
Et lui, pensant aller là où il n'y a pas de peine (le Nirvāna), répondit : "Qu'il en soit ainsi, partout où j'irai, puisses-tu venir aussi."
Après le retour du Bouddha, Yaśodharā et Prajāpatī, sa mère adoptive, furent les premières femmes à devenir ses disciples.
C'était la nuit. Le prince ne pouvait trouver la paix sur sa couche. Il se leva et sortit dans le jardin. Il s'assit sous le grand jambosier et se mit à réfléchir sur la vie, la mort et les maux de la vieillesse. Il concentra sa pensée, se libéra de la confusion et une tranquillité parfaite descendit sur lui. Dans cet état, son œil mental s'ouvrit et il contempla une forme majestueuse, calme et pleine de dignité. "D'où viens-tu et qui peux-tu bien être ?" demanda le prince. La vision répliqua : "Je suis un Śramana. Troublé par la pensée de la vieillesse, de la maladie et de la mort, j'ai quitté ma maison pour chercher le chemin du salut. Toute chose se hâte vers son déclin ; seule la vérité demeure à jamais. Tout change et il n'y a pas de permanence; toutefois les paroles des bouddhas sont immuables."
Siddhārta demanda : "Peut-on parvenir à la paix en ce monde de souffrance ? Je n'en peux plus de la vanité du plaisir et le désir me dégoûte. Tout m'opprime et l'existence même me semble intolérable."
Le Śramana répondit : "Là où il y a chaleur, là se trouve aussi la possibilité de froid. Les créatures sujettes à la souffrance possèdent aussi la faculté de plaisir. L'origine du mal indique qu'on peut développer le bien. Car ces choses sont corrélatives l'une de l'autre. Ainsi, là où il y a beaucoup de souffrance, là il y aura beaucoup de félicité, si seulement tu ouvres les yeux pour le voir. Comme un homme tombé dans un tas de saletés devrait chercher le plus proche étang couvert de lotus, ainsi toi, cherche le grand lac d'immortalité du Nirvāna pour nettoyer la souillure du péché. Ce n'est pas la faute du lac si on ne le cherche pas. Ainsi lorsqu'il existe une route bénie qui conduit l'homme limité par le péché au salut du Nirvāna, ce n'est pas la faute de la route, mais celle de l'homme, s'il ne l'emprunte pas. Lorsqu'un homme accablé par la maladie ne profite pas de l'aide du médecin qui peut le guérir, ce n'est pas la faute de celui-ci. Ainsi lorsqu'un homme opprimé par la maladie de l'ignorance ne cherche pas le guide spirituel de l'illumination, ce n'est pas la faute du guide capable de détruire toute errance."
Le prince écouta ces paroles de sagesse et dit : "Je sais que j'atteindrai mon but, mais mon père me dit que je suis encore trop jeune et trop impétueux pour mener une vie de Śramana."
Le vénérable personnage répondit : "Tu devrais savoir que, pour chercher la vérité, aucun moment n'est inopportun."
Le cœur de Siddhārta tressaillit de joie. "Il est temps maintenant de chercher la vérité. Il est temps à présent de couper tous les liens susceptibles de m'empêcher d'atteindre l'illumination parfaite."
Le messager céleste écouta la résolution de Siddhārta avec approbation : "Va de l'avant, Siddhārta, et atteins ton but. Car tu es un bodhisattva, un futur bouddha ; tu es destiné à illuminer le monde. Tu es le Tathāgata, le Parfait, car tu auras toutes les vertus et seras Dharma-Rāja, Roi de Vérité. Tu es Bhagavat, le Béni, car tu es appelé à devenir un sauveur et un rédempteur du monde.
Parviens à la perfection de la Vérité. Même si la foudre te tombe sur la tête, ne cède jamais aux attraits qui séduisent les hommes et les éloignent du chemin de la vérité. Comme le soleil poursuit son cours en toute saison sans en chercher d'autre, de même si tu ne t'écartes pas du droit chemin de la vertu, tu deviendras un bouddha.
Persévère dans ta quête et tu trouveras ce que tu cherches. Poursuis inébranlablement ton but et tu vaincras. La bénédiction de toutes les divinités, de tous ceux qui cherchent la lumière est sur toi, et la sagesse céleste guide tes pas. Tu seras le Bouddha, tu illumineras le monde et tu sauveras l'humanité de la perdition."
Ayant ainsi parlé, la vision disparut et l'âme de Siddhārta fut remplie d'extase. Il se dit :"Je me suis éveillé à la Vérité et je suis résolu à atteindre mon but. Je romprai tous les liens qui m'attachent au monde, et je partirai pour chercher la voie du salut. En vérité, je deviendrai un bouddha."
Le prince retourna au palais contempler une dernière fois tous ceux qu'il aimait plus que tous les trésors du monde. Il se rendit chez la mère de Rāhula et ouvrit la porte de la chambre de Yaśodharā. Une lampe d'huile parfumée brûlait ; sur le lit jonché de jasmins dormait Yaśodharā, la mère de Rāhula, dont la main reposait sur la tête de son fils. Restant sur le seuil, le bodhisattva les regarda avec un pincement de cœur. La douleur de les quitter le saisit. Mais rien ne pouvait ébranler sa résolution et, d'un cœur courageux, il réprima ses sentiments et se retira. Il enfourcha sa monture, Kanthaka, et, trouvant les portes du château grand ouvertes, il sortit dans la nuit silencieuse, accompagné seulement de Chandaka, son fidèle conducteur. Ainsi Siddhārta, le prince, renonça aux plaisirs du monde, délaissa son royaume, coupa tous ses liens et partit, seul et sans abri. [4],[5]
Jusqu'à présent, quatre sites en Inde ont attiré les pèlerinages des adeptes de l'enseignement du Bouddha Béni. Son lieu de naissance, Kapilavastu, une ville située au nord de l'Inde, au pied de l'Himalaya, à la source de la rivière Gandak ; elle fut détruite pendant la vie même du Bouddha. Puis le lieu de son illumination, Buddhagayā, où se trouvait Uruvelā, l'arbre souvent mentionné, à l'ombre duquel Gautama unit toutes ses réalisations dans l'illumination. Le lieu de son premier sermon, Sarnath (près de Bénarès), où, d'après la légende, le Bouddha mit en mouvement la Roue de la Loi ; on peut encore y voir des traces de très anciennes communautés. Enfin le lieu de sa mort – Kusinārā au Népal.
Dans les notes du voyageur chinois Fa-Hsien (392-414 av. J.-C.), qui a visité l'Inde, nous trouvons une description du domaine de Kapilavastu, ainsi que d'autres endroits vénérés.
Malgré cela, et en dépit des antiques colonnes du roi Aśōka, certains aimeraient faire croire que le Bouddha est un mythe et séparer ce noble enseignement de la vie. L'écrivain français Sénart, dans un essai, affirme que le Bouddha est un mythe solaire. Mais ici également, la science témoigne de la personnalité humaine de l'Instructeur, le Bouddha Gautama. Ainsi l'urne contenant une partie des cendres et des os du Bouddha, trouvée à Piprawa (dans les Terai népalais), porte une date et une inscription ; l'urne historique contenant quelques reliques de l'Instructeur, enterrée par le roi Kanishka a été découverte près de Peshawar ; ces deux urnes donnent un témoignage précis de la mort du premier Instructeur de la communauté mondiale, le Bouddha Gautama.
Il ne faudrait pas croire que la vie du Bouddha se passa dans la quiétude et la reconnaissance universelle. Au contraire, certaines indications font état de calomnies et de toutes sortes d'obstacles que l'Instructeur, en vrai guerrier, dut surmonter. Ceci ne fit que le fortifier, et accroît encore la valeur de sa réalisation. Différents incidents mettent en lumière l'hostilité dont firent preuve à son égard des ascètes et des brahmanes qui le haïssaient. Les premiers parce qu'il réprouvait leur fanatisme, les seconds parce qu'il refusait d'admettre leurs droits à des privilèges sociaux et à la connaissance de la vérité par droit de naissance.
Aux premiers, il disait : "Si l'on pouvait parvenir à la perfection et à se libérer des liens qui attachent l'homme à la terre en renonçant simplement à la nourriture et aux coutumes liées à la condition humaine, un cheval ou une vache auraient atteint ce niveau depuis longtemps".
Aux seconds, il disait : "D'après ses actions, un homme peut devenir un paria ou un brahmane. Le feu allumé par un brahmane et le feu allumé par un śhūdra brûlent d'une même flamme, brillante et lumineuse. A quoi vous a conduit votre isolement ? Pour vous procurer du pain, vous allez au marché comme tout le monde et vous attachez de la valeur aux pièces qui sortent de la poche d'un śhūdra. Votre isolement n'est en fait que de l'abus et vos ustensiles sacrés, des instruments de duperie.
Les possessions d'un riche brahmane ne sont-elles pas une désacralisation de la loi divine ? Vous considérez le sud comme la lumière et le nord comme l'obscurité. Il arrivera un moment où je viendrai du lieu de minuit et vos lumières s'éteindront. Même les oiseaux volent vers le nord pour donner naissance à leurs petits. Même l'oie grise connaît la valeur des possessions terrestres. Mais le brahmane essaie de remplir d'or sa ceinture et d'amasser ses trésors sous le seuil de sa maison. Brahmanes, vous menez une vie méprisable qui vous mène à une fin pitoyable. Vous serez détruits les premiers. Si je vais vers le nord, j'en reviendrai aussi." (selon les traditions orales de bouddhistes de l'Inde.)
On connaît des cas précis où, après ses discours, un grand nombre de ceux qui l'écoutaient s'en allèrent mécontents, tandis que le Béni disait : "Le grain s'est séparé de la balle ; la communauté de ceux dont les convictions sont intactes s'établit. C'est une bonne chose que les prétentieux soient partis".
Rappelons-nous d'autres épisodes : un jour, son plus proche disciple et parent, Devadatta, eut l'idée de jeter une pierre à l'Instructeur qui passait et réussit même à le blesser au pied.
Rappelons-nous aussi le cruel destin de son clan et de son pays, détruits pour assouvir la vengeance du roi voisin. Selon la légende, le Bouddha se trouvait loin de la ville avec son disciple bien-aimé Ananda au moment de l'attaque de son pays, il éprouva une forte migraine et se coucha sur le sol, se recouvrant de sa robe pour cacher au seul témoin le chagrin qui submergeait son cœur stoïque.
Les maladies physiques ne l'épargnaient pas non plus. On mentionne qu'il souffrait de fortes douleurs dans le dos ; sa mort même fut provoquée par de la nourriture empoisonnée. Tous ces détails rendent son image véritablement humaine et proche de nous.
Le terme bouddha n'est pas un nom, mais indique un état d'esprit, un esprit parvenu au point le plus élevé de son développement ; traduit littéralement, il signifie "l'illuminé", ou celui qui possède la connaissance et la sagesse parfaites.
D'après les Suttas Pâlis, le Bouddha n'a jamais revendiqué l'omniscience que lui ont attribuée ses disciples. "Ceux qui t'ont dit, Vaccha, que l'Instructeur Gautama connaît tout, voit tout, déclare posséder des capacités illimitées de clairvoyance et de connaissance et proclame "En mouvement ou immobile, éveillé ou endormi, toujours et en tout lieu, l'omniscience m'habite", ces personnes ne répètent pas ce que j'ai dit et m'accusent faussement, contre toute vérité." [6]
Les pouvoirs dont disposait le Bouddha ne sont pas miraculeux, car un miracle viole les lois de la nature. Le pouvoir suprême du Bouddha est en parfait accord avec l'ordre éternel des choses. Ses pouvoirs surhumains semblent miraculeux tout comme l'action de l'homme peut sembler miraculeuse aux êtres inférieurs. Les héros qui se sacrifient, ceux qui se battent pour la vraie connaissance, manifestent leurs réalisations exceptionnelles aussi naturellement que l'oiseau vole ou que le poisson nage.
D'après un texte, le Bouddha "n'est que l'aîné des hommes, n'ayant pas plus de différence avec les autres que le premier poussin à avoir brisé sa coquille n'en a avec les autres poussins de la même couvée." La connaissance l'éleva à un niveau différent des êtres, parce que le principe de différenciation réside dans les profondeurs de la conscience.
Le caractère humain du Bouddha Gautama est spécialement souligné dans les écrits les plus anciens qui contiennent l'expression suivante "Bouddha Gautama, le plus parfait des bipèdes."
Les Suttas Pâlis contiennent plusieurs définitions très vivantes des qualités supérieures de Gautama, l'Instructeur, qui a montré le chemin. Mentionnons quelques unes d'entre elles : "Il est le conducteur de la caravane, le fondateur, l'instructeur, l'incomparable entraîneur d'hommes. L'humanité roulait comme une roue de charrette sur la voie de sa destruction, perdue, sans guide ni protecteur. Il lui a montré le chemin à suivre. Il est le Seigneur de la Roue de la Loi bienveillante. Il est le Lion de la Loi." [7]
"C'est un merveilleux médecin ; par sa compassion, il guérit les hommes gravement malades." [8]
"Le vénérable Gautama est un laboureur. Son champ est l'immortalité." [9]
"Il est la lumière du monde. C'est lui qui élève l'homme de la terre. C'est lui qui dévoile ce qui est caché. C'est lui qui porte la torche dans l'obscurité pour que ceux qui ont des yeux puissent voir ; ainsi Gautama illumina son enseignement sous tous ses aspects."
"Il est le Libérateur. Il libère parce que lui-même s'est libéré." Sa perfection morale et spirituelle témoigne de la vérité de son enseignement et la puissance de l'influence qu'il exerçait sur son entourage repose sur l'exemple de son travail personnel.
Les anciens écrits mettent toujours l'accent sur le fait que l'enseignement s'applique dans la vie. Gautama n'évita pas la vie, mais il prit part à la vie quotidienne des travailleurs. Il essaya de les diriger vers l'enseignement, leur offrit de participer à ses communautés, accepta leurs invitations et ne craignit pas de visiter les courtisans et les rājas, les deux centres de la vie sociale dans les cités de l'Inde. Il essaya de ne pas enfreindre inutilement les coutumes traditionnelles ; bien plus, il s'efforça de donner son enseignement en s'appuyant sur une tradition particulièrement vénérée, si elle n'entrait pas en conflit avec les principes de base.
Son enseignement n'était pas abstrait. Il n'opposa jamais l'idéal d'une vie mystique et transcendentale à la réalité existante. Il faisait valoir la réalité de toutes choses et conditions existantes au moment présent. Comme il se préoccupait surtout, dans ses activités et ses pensées, des circonstances de la vie, les sujets de ses discours et de ses paraboles étaient tirés de la vie de tous les jours ; il employait toujours les images et les comparaisons les plus simples.
Partant du concept du parallélisme entre nature et vie humaine, les penseurs hindous croient que les phénomènes naturels peuvent nous expliquer de nombreux aspects des manifestations de la vie. En employant cette méthode, le Bouddha conserva l'expérience de cette ancienne tradition, dont bénéficia toute sa doctrine. "Je te montrerai par analogie, car beaucoup de personnes rationnelles comprennent par analogie" – telle était la formule habituelle de l'Illuminé. Et cette simple et vivante approche donna à son enseignement élan et conviction.
Son influence sur les gens était proportionnelle à sa foi en lui-même, en son pouvoir et en sa mission. Il s'adaptait toujours à la situation de chaque disciple ou auditeur, leur donnant ce dont ils avaient le plus besoin, selon leur compréhension. Il n'accablait pas de procédés intellectuels compliqués, les disciples ni les auditeurs non préparés à aborder les plus hautes connaissances. Il n'encourageait pas non plus ceux qui cherchaient la connaissance abstraite sans appliquer dans la vie son enseignement profondément éthique. L'un de ceux-ci, nommé Māluňkya, posa un jour une question sur l'origine de toutes choses. Le Bouddha garda le silence, car il considérait que la tâche la plus importante est d'affirmer la réalité de notre environnement ; cela implique de voir les choses telles qu'elles sont autour de nous et d'essayer d'abord de les rendre plus parfaites, d'accélérer leur évolution, et non de perdre son temps en spéculations intellectuelles.
Sa connaissance ne se limitait certainement pas à sa doctrine, mais la prudence que lui suggérait sa grande sagesse le faisait hésiter à divulguer des conceptions qui, mal comprises, pourraient avoir des effets désastreux.
Un jour, le Bouddha se trouvait à Kausāmbī dans le bosquet de Simsapās. Prenant quelques feuilles de Simsapā dans sa main, il dit à ses disciples : "Eh bien mes disciples, quelles sont les plus nombreuses, ces quelques feuilles que je tiens dans la main, ou celles qui restent sur l'arbre ?
– Le Béni ne tient que peu de feuilles dans sa main, il y en a beaucoup sur l'arbre.
– De même, disciples, les choses que j'ai perçues et que je ne vous ai pas communiquées sont beaucoup plus nombreuses que celles que je vous ai indiquées. Et pourquoi, ô disciples, ne vous les ai-je pas révélées ? Parce que cela ne vous servirait à rien, parce que cela ne contribuerait pas à une vie plus élevée, parce qu'elles ne vous conduiraient pas à perdre tout appétit pour le monde, à supprimer tout désir, à cesser tout attachement au transitoire ; elles ne vous guideraient pas à la paix, à une connaissance supérieure, à l'éveil, au Nirvāna. Par conséquent, je ne vous les ai pas communiquées. Et que vous ai-je communiqué ? Ce qu'est la souffrance, la source de la souffrance, la cessation de la souffrance et le chemin qui conduit à la cessation de la souffrance."
Et dans chaque cas particulier, son enseignement était si adapté et si pratique qu'il s'établit une tradition de trois cercles d'enseignement : pour les élus, pour les membres de la communauté et pour tous.
En fondant ses communautés, l'Eveillé s'efforça de créer les meilleures conditions pour ceux qui étaient fermement déterminés à travailler à l'expansion de leur conscience pour parvenir à une plus haute connaissance. Ensuite il les envoyait dans le monde comme instructeurs de la vie, comme messagers d'une communauté mondiale.
La discipline constante de paroles, de pensées et d'actions exigée de ses disciples, sans laquelle on ne peut avancer dans la voie de la perfection, est presque irréalisable pour ceux qui vivent dans les conditions habituelles de la vie : des milliers de circonstances extérieures et d'obligations triviales distraient constamment celui qui s'efforce d'atteindre son but. Mais la vie au milieu d'êtres unis par une même aspiration, par des pensées et des habitudes communes, était d'un grand secours, car elle fournissait, sans perte d'énergie, des possibilités de se développer dans la direction désirée.
Le Bouddha – qui enseignait que, dans tout l'univers, il n'existe que des corrélations ; qui savait que rien n'existe sans coopération ; qui comprenait que l'égoïste présomptueux ne pourrait bâtir l'avenir car, selon la loi cosmique, il se situerait hors du courant de la vie qui entraîne tout ce qui existe vers la perfection – planta patiemment les semences ; il fonda les cellules sur une base communautaire, prévoyant dans un avenir lointain la réalisation de la grande Communauté Mondiale.
Il fallait observer les deux règles suivantes pour être admis dans la communauté : le renoncement complet à toute possession personnelle et la pureté morale. Les autres règles concernaient le strict contrôle de soi et les obligations envers la communauté. Chaque personne qui y entrait prononçait la formule : "Je prends refuge dans le Bouddha, je prends refuge dans l'Enseignement, je prends refuge dans le Sangha pour détruire ma peur." Ceci grâce aux enseignements du premier, à la vérité immuable du second, à l'exemple donné par le troisième, exemple de la grande loi exposée par le Bouddha.
Le renoncement à la propriété s'appliquait dans la vie avec austérité. De plus, le renoncement ne devait pas tant être prouvé extérieurement qu'accepté en toute conscience.
Un jour, un disciple demanda au Bouddha : "Comment doit-on comprendre la règle concernant le renoncement à la propriété ?" Un disciple avait renoncé à toute chose, et pourtant l'Instructeur continuait à lui reprocher ses possessions. Par contre, un autre était entouré d'objets, mais il ne lui était fait aucun reproche.
"Le sentiment de possession ne se mesure pas au nombre d'objets mais aux pensées. On peut avoir des objets sans pour cela les posséder."
L'Eveillé conseillait toujours de ne posséder que le strict minimum pour ne pas y consacrer trop de temps.
Toute la vie de la communauté était strictement disciplinée car l'enseignement du Bouddha se fondait sur une autodiscipline d'acier, afin de brider pensées et sentiments incontrôlés et de développer une volonté indomptable. Ce n'est que lorsque le disciple était maître de ses sens que l'Instructeur soulevait légèrement le voile et assignait une tâche. Le disciple était alors progressivement admis dans les arcanes de la connaissance. De ces hommes disciplinés, ayant renoncé à tout ce qui est personnel et, par conséquent, fermes et intrépides, Gautama l'Eveillé désirait faire des travailleurs du bien commun, des créateurs de la conscience des peuples et des précurseurs de la Communauté Mondiale.
Le courage était placé à la base de toute réalisation dans l'enseignement de Gautama. "Il n'y a pas de vraie compassion sans courage ; aucune discipline de soi ne peut se réaliser sans courage ; la patience est courage ; on ne peut sonder la profondeur de la vraie connaissance et atteindre la sagesse d'un arhat sans courage." Gautama exigeait de ses disciples qu'ils suppriment tout sentiment de peur. Il exigeait intrépidité dans la pensée et dans l'action. Le nom même donné au Bouddha Gautama, "le Lion", et ses exhortations personnelles à ses disciples de passer à travers tous les obstacles comme un rhinocéros ou un éléphant prouvent la profondeur du courage qu'il exigeait. Ainsi, l'enseignement de Gautama peut être, avant tout, considéré comme l'enseignement de l'Intrépidité.
"Nous nous appelons des guerriers,
ô disciples, car nous combattons.
Nous combattons pour de hautes vertus,
des efforts courageux et une sagesse sublime,
C'est pourquoi on nous appelle des guerriers."
La tradition affirme que, lorsque Gautama réalisa l'illumination, elle lui révéla la "chaîne des causes" (les douze Nidānas), résolvant ainsi le problème qui le tourmentait depuis des années. En méditant de la cause à l'effet, Gautama révéla la source du mal :
12) L'existence est souffrance, car elle implique vieillesse, mort et de nombreuses peines.
11) Je souffre parce que je suis né.
10) Je suis né parce que j'appartiens au monde de l'existence.
9) J'existe parce que j'entretiens l'existence en moi.
8) J'entretiens l'existence parce que j'ai des désirs.
7) J'ai des désirs parce que j'ai des sensations.
6) J'ai des sensations parce que j'entre en contact avec le monde extérieur.
5) Ce contact est produit par l'action de mes six sens.
4) Mes sens se manifestent parce que, étant une personnalité, je m'oppose à l'impersonnel.
3) Je suis une personnalité parce que ma conscience en est pénétrée.
2) Cette conscience s'est créée en conséquence de mes existences précédentes.
1) Ces existences ont obscurci ma conscience car je n'avais pas la connaissance.
On énumère d'habitude les douze formules dans l'ordre inverse :
1) Avidyā (obscurcissement, ignorance)
2) Samskāra (karma)
3) Vijňiāna (conscience)
4) Nāma-rūpa (forme, sensorielle et non sensorielle)
5) Shad-āyatana (les six bases transcendentales des sentiments, sensations)
6) Sparśa (le contact)
7) Vedanā (les sentiments)
8) Trishnā (la soif, le désir)
9) Upādāna (les efforts, les attaches)
10) Bhāva (existence)
11) Jāti (la naissance)
12) Jarā (la vieillesse, la mort).
Ainsi, la source et cause primordiale de toute la souffrance humaine se trouve dans l'obscurité et l'ignorance. Par conséquent, Gautama définit et condamne l'ignorance avec précision. Il affirma que l'ignorance est le plus grand crime car elle est la cause de toutes les souffrances humaines, nous obligeant à attribuer de la valeur à ce qui n'en a pas ; à souffrir alors qu'on ne devrait pas ; à prendre l'illusion pour la réalité ; à passer notre vie à rechercher le futile, négligeant ce qui est le plus précieux en réalité : la connaissance du mystère de l'existence et de la destinée humaines.
La lumière capable de dissiper cette obscurité et de nous libérer de la souffrance fut proclamée par Gautama l'Eveillé comme la connaissance des Quatre Nobles Vérités :
1) La souffrance de l'existence incarnée, causée par la récurrence constante des naissances et des morts.
2) La cause de ces souffrances se trouve dans l'ignorance, dans la soif de satisfaction personnelle pour les possessions terrestres qui entraînent la perpétuelle répétition d'une existence imparfaite.
3) La cessation de la souffrance se trouve dans la réalisation d'un état illuminé, incluant tout, créant ainsi la possibilité d'arrêter consciemment le cercle de l'existence terrestre.
4) La voie de la cessation de la souffrance consiste à renforcer progressivement les éléments à perfectionner pour supprimer les causes de l'existence terrestre et approcher la grande vérité.
Gautama a divisé le chemin qui mène à cette vérité en huit parties :
1) Compréhension juste (ce qui concerne la loi des causes).
2) Pensée juste.
3) Parole juste.
4) Action juste.
5) Vie juste.
6) Travail juste.
7) Juste vigilance et juste autodiscipline.
8) Concentration juste.
Celui qui a observé ces principes dans sa vie se libère de la souffrance de l'existence terrestre qui résulte de l'ignorance, du désir et des envies. Lorsque l'on réalise cette libération, on parvient au Nirvāna.
Qu'est-ce que le Nirvāna ? "Le Nirvāna représente la capacité de contenir toutes les actions, c'est la limite de l'inclusion totale. Le frémissement de l'illumination attire la véritable connaissance. La quiétude n'est qu'un signe extérieur qui n'exprime pas l'essence de cet état." Notre compréhension contemporaine nous permet de définir le Nirvāna comme un état de perfection de tous les éléments et de toutes les énergies dans un individu, amenés au maximum d'intensité réalisable dans le présent cycle cosmique.
Gautama l'Eveillé fit aussi remarquer dix grands obstacles ou entraves :
1) L'illusion de la personnalité.
2) Le doute.
3) La superstition.
4) Les passions physiques.
5) La haine.
6) L'attachement à la terre.
7) Le désir de jouissance et de repos.
8) L'orgueil.
9) Le contentement de soi.
10) L'ignorance.
Pour atteindre la plus haute connaissance, il faut se libérer de ces entraves.
Le bouddhisme expose, dans les moindres détails, les subdivisions des sens et les mécanismes du processus intellectuel en tant qu'obstacles ou moyens de développement pour faciliter la connaissance de soi par l'entraînement mental et l'analyse de chaque objet en détail. En suivant cette méthode de connaissance de soi, l'homme parvient finalement à connaître la vraie réalité et voit la vérité telle qu'elle est. C'est la méthode appliquée par tout sage instructeur pour développer le mental du disciple.
En prêchant les Quatre Nobles Vérités et le noble sentier, Gautama condamna, d'une part, les mortifications corporelles pratiquées par les ascètes, et, d'autre part, la licence – indiquant le chemin des huit étapes comme la voie de l'harmonisation des sens et de la réalisation des six perfections d'un arhat : compassion, moralité, patience, vaillance, concentration et sagesse.
[1] Illuminé, Eveillé
[2] communauté
[3] Anguttara-Nikāya
[4] Aśvaghosha, Fo-Sho-Hing-Tsan-King, A life of Buddha, version chinoise du Buddhacarita
[5] Buddhist Birth Stories, ou Jātaka Thales
[6] Majjhima-Nikāya
[7] Śikshāsamuccaya, compilation de Śāntideva
[8] Śāntideva, Bodhicaryāvatāra
[9] Sutta Nipāta
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Dernière mise à jour : 11/02/2015